Une histoire de locataires
Nous allons directement à Neuilly. La tante est seule, je la trouve un peu tristounette, dès qu'elle nous voit, un grand sourire éclaire son visage.
Catherine place son éternel plateau sur la petite table, garni de verres. Maryse demande des détails sur la maison, est-ce qu'ils l'ont prise. Toujours des conversations à mi-mots, heureusement maintenant j'ai appris à saisir et suivre leurs échanges. Matthieu répond de bonne grâce.
Je suis étonnée de ne pas voir manou et Patrick, mais je ne demande rien. Je n'ai pas suivi, et du coup ignore ce dont ils parlent
Matthieu .... Je demanderai à Romain de mettre une annonce dans son journal, nous recevrons les candidates en même temps. Je ne vais pas perdre plusieurs après-midis.
Maryse ... Tu les recevras à la société ?
... Mais non ici. ... Avez-vous fait nettoyer les logements ?
... Oui, il aurait été bien de faire donner un coup de rafraichissement.
... Bien nous demanderons à monsieur Germain.
... Mais il travaille chez Alexandre.
... Il n'a pas long à mettre un coup de peinture sur trois petits appartements.
Il se tourne vers moi.... Es-tu déjà montée ?
... Ah non jamais, j'ignorais qu'il y avait des appartements là-haut
... Oui, enfin ce sont des deux pièces. Veux-tu les voir
J'hausse les épaules ... Bah oui si tu veux
... Montez-vous ma tante ?
... Non va, avec ta femme.
Matthieu me prend la main, nous montons au premier étage, au fond du couloir, Matthieu ouvre une porte, un autre escalier. Je me rappelle que c'est celui que j'ai emprunté le lendemain de mon mariage. En fait il donne sur la droite du hall d'entrée.
Avec Matthieu nous grimpons la dizaine de marches. Un palier plus petit que celui du premier. Il ouvre une porte, je me retrouve dans une pièce d'une belle dimension, un petit coin cuisine, une autre porte sur la gauche, une autre pièce un peu plus petite. En nous retournant, une porte à côté, c'est une salle de bains, et un WC.
... Qu'en penses-tu ?
... Bah pour une étudiante, c'est royal non ?
... Je pense aussi.
... A quoi servaient ces appartements ?
... Du temps de mon grand-père, le personnel restait à demeure.
... Ah, ils étaient que trois ?
... En fait il y avait un majordome, la gouvernante celle qui s'occupait du personnel féminin et un chauffeur.
... Ah d'accord. Remarque oui c'est dommage de les laisser vides.
... Au moins ma tante pourra pouponner des gamines
Je souris, il m'enlace nous redescendons par l'escalier de service, et nous retrouvons dans le grand hall. Nous retournons au salon, devant une Marjorie étonnée.
Maryse ... Alors qu'en dis-tu ? Un petit rafraichissement des peintures ?
... Oui je vais voir ça.
Ils discutent des futures modalités d'une location, Maryse propose même de faire de la co-location.
Mon mari la coupe, net .... Il n'en est pas question. Trois locataires seront suffisants, je n'ai pas envie d'être envahi
... Je proposais simplement.
... Oui, oui, je vous voir venir ! Trois pas une de plus ! Et dans le parc, il y aura une colonie de vacances, c'est ça l'histoire ?
Maryse rit, de ce petit rire discret ... Je n'avais pas vu cet aspect
... Evidemment !
Le repas et une partie de la soirée, sont axés sur ce futur contrat de location pour les trois petits appartements. Je me dis, si Christine avait pu trouver une chambre comme ça, chez l'habitant ça aurait été bien. Quelques fois je regrette de l'avoir introduit chez mes parents, bien mieux depuis qu'elle est avec Alexandre. Soudain je pense à Ghyslaine, du coup je ne lui ai parlé de rien. Manque de temps ou réflexion à savoir si oui ou non je peux lui confier ce qui me perturbe.
Matthieu veut louer, en meublé, samedi après-midi nous allons dans le bureau, regarder sur internet, ce qu'offrent les grands magasins de mobilier, pratique et à moindre coût. Au fur et à mesure, nous notons les références de ou des articles.
Nous essayons de visualiser et de meubler les appartements de façon agréable et fonctionnelle. Enfin deux bonnes heures plus tard, Matthieu éteint l'ordinateur et me propose d'aller prendre un verre avec sa tante.
Tout en nous dirigeant, vers le salon, je lui demande s'il a eu Marc et si celui-ci est ok pour faire les travaux
... Non, je ne vais pas téléphoner à sa femme un samedi. Je verrais lundi. De toute façon, à l'allure ou il va, en une semaine les appartements seront prêts.
... D'accord, tu attends pour donner rendez-vous ?
... Oui, puisqu'il faudra bien leur faire visiter, alors autant que ce soit propre et meublé
.... Ah d'accord.
Au salon Maryse à l'air de nous attendre. ... Alors les enfants, vous avez fini ?
... Oui, j'enverrais certainement Georges commander ce qu'il faut, quand les peintures seront faites
... Oui tu as raison. Peut-être que nous pouvons faire appartement par appartement ?
... Non, il faut les faire ensemble, on n'aura pas à revenir dessus.
... Oui je te laisse carte blanche.
Tout en sirotant mon verre, je décroche de leur conversation, qui s'éternise et tourne un peu en rond. Au bruit de la porte je tourne la tête, et avec un grand sourire je me lève. Patrick et manou entrent.
D'un coup le salon me parait moins vide. Je commençais à trouver le temps long.
Maryse quitte le sujet appartement, pour engager la conversation sur la maison. J'ai envie de rire. Matthieu me propose quelques pas dans le parc. J'accepte avec empressement, sachant que manou et Patrick vont être accaparés par Maryse.
Nous marchons en cadence, enlacés, sans parler, juste pour le plaisir d'être ensemble. Au détour d'une allée, je fais savoir à Matthieu que j'ai validé mon inscription à la fac.
... Bien, tu as le calendrier des cours ?
... Heu oui bien sûr.
... Tu me diras !
... Pas de grands changements par rapport à l'an passé, tous les premiers vendredis de chaque mois, sauf changement du prof pour une raison ou une autre.
... Quel est la prochaine date ?
... Vendredi qui arrive.
... Il n'y a pas eu de reprise en septembre ?
... Heu si mais je l'ai loupé.
Il s'arrête net, m'obligeant aussi à m'arrêter. .... Comment ça ? Tu as loupé le premier cours ?
... En fait c'est en allant sur ma boite mails, que j'ai vu la relance de la fac, donc j'ai fait l'inscription aussitôt
Je vois ses yeux se foncer, au fur et à mesure que je parle
... Tu n'as que tes cours et la fac à penser, et tu fais l'impasse ?
... Mais non, de toute façon ce n'est pas bien grave, le premier cours, n'en est pas un. Le prof se présente et nous explique l'année à venir, il n'y a pas de devoirs, je vais certainement les recevoir en début de semaine, ou même après le cours.
... Le prof explique le déroulement de l'année, et ce n'est pas important. Tu te moques de qui ?
Je sens mon pouls s'accélérer. ... Bon, c'est fait. J'écrirai à ma copine et elle me dira.
... Je te préviens Mélissandre, il est hors de question que tu fasses l'impasse sur un cours ou un devoir
... Bon écoute, jusqu'à maintenant je me suis débrouillée seule et j'ai réussi, alors ne viens pas me dire ce que je dois faire
.... Doucement madame Jorelle ! J'ai promis à ton père que tu irais au bout de tes études, et je te garantis que tu vas aller au bout !
... Oui c'est bon !
.... Tu me donneras le calendrier des cours, je veux m'assurer du suivi
Je ne réponds pas, je n'ai pas envie d'envenimer. Nous rentrons avec un semblant de tranquillité mais je sais au fond de moi, qu'il est en colère.
Le salon est bien animé, Christine et Alexandre ont rejoint les anciens. Je vais les embrasser Matthieu s'assoit.
... Bonjour Christine
... Bonjour Matthieu.
Je remarque qu'elle le regarde bien et sourit légèrement en penchant la tête. Il ne s'occupe pas davantage d'elle et sert l'apéritif, Alexandre offre les verres à chacun
Matthieu .... Aurions-nous interrompu une conversation ?
Alexandre ... Absolument pas, nous parlions de la future maison de monsieur et madame Duval père !
Matthieu sourit à manou ... Heureuse manou ?
Manou rit .... Mon cher petit-fils, on le serait à moins. Il me faudrait être bien difficile et ingrate envers mon époux qui me comble.
Matthieu rit à son tour ... N'est-ce pas le rôle d'un époux, que de rendre sa femme heureuse ?
Manou taquine ... Tout comme une femme doit rendre heureux son époux. Mais je crois que j'ai attrapé le meilleur qui puisse exister.
Matthieu espiègle .... Quel message voulez-vous me faire passer manou ? Ne serais-je pas un époux parfait ?
.... Mon cher Matthieu, seule ma poupée pourrait le dire
... Alors si elle ne vous a rien dit, je reste sur la liste des bons époux !
Manou rit ... Qui ne dit mot consent ?
... Il me semble manou, que c'est l'adage, non ?
Manou se tourne vers moi .... N'est-ce pas ma poupée ?
... Manou si tu le dis, je te fais confiance
... Ce n'est pas une question de confiance sur un diton, mais plutôt une certitude.
Je regarde Matthieu espiègle .... Tu es un bon mari ?
.... Madame Jorelle il me semble oui. Disons que je n'ai pas une cervelle de moineau
J'éclate de rire .... Non mais tu as une telle facilité à faire en sorte de ne jamais avoir tort.
.... Dis-donc tu as une chose à penser, une seule et tu te permets de l'oublier !
... C'est bien ce que je dis, tu prends le moindre prétexte pour avoir raison.
Je sais qu'il plaisante, je sais que je peux à mots couverts lui faire comprendre qu'il n'avait pas besoin de se mettre en colère tout à l'heure.
Christine me regarde avec des yeux ronds. Je prends Maryse à témoin
... Je n'ai pas raison Maryse ?
La tante sourit .... Il est difficile je le reconnais, d'avoir le dernier mot avec un de mes neveux.
Alexandre ... Plaignez-vous ma tante !
Matthieu craignant que la bonne entente vire, demande à Alexandre, s'il serait possible de prendre monsieur Germain pour une petite semaine.
Alexandre .... Tu veux refaire ton appartement ?
Matthieu sourit .... Non, je voudrais faire rafraichir les appartements là-haut
Alexandre ... Pour ? Tu veux emménager à Neuilly
Matthieu rit, de ce rire chaud, qui m'émoustille .... Non, ta tante a peur de s'ennuyer, j'ai donc suggéré qu'elle prenne trois locataires
Alexandre fronce les sourcils. Oh mon Dieu, ''Matthieu sort de ce corps''. Et de cette voix coupante
... Et ? Nous allons cohabiter avec des pensionnaires parce que la comtesse s'ennuie ?
Maryse ... Je te prie Alexandre d'éviter de persifler.
Je regarde Patrick et manou, ils parlent à voix basse, sans trop s'occuper de ce qui se passe. Je n'ai pas entendu la suite de l'échange entre Maryse et son neveu,
Matthieu ... je vais mettre les conditions sur le bail
Alexandre ... Ah tu crois ça ! Quand on aura le dos tourné, les mouflettes envahiront le salon, la télé, et pourquoi pas la salle à manger, la bibliothèque et le bureau
Maryse... Ne sois pas ridicule Alexandre, la journée il n'y a personne, et ces jeunes filles seront à leurs études ou leur travail
Alexandre ... Alors expliquez-moi à quoi sert de prendre des pensionnaires ?
... Mais pour savoir que cette maison bouge, qu'elle vit
Alexandre ironique ... Elle vivra quand ? Puisque vous me dites que la journée les locataires ne seront pas présentes. Prenez-vous une dame de compagnie, au moins vous ne serez pas seule !
Il se tourne vers mon mari et sans se départir de ce ton persifleur ........ Matthieu tu réfléchis des fois ? Avant de lui céder tous ces caprices ?
Je suis soufflée, avant que Matthieu réponde, Patrick d'une voix de colère remet son fils en place
... Non mais dis-donc Alexandre, tu t'écoutes parler ?
Alexandre toise son père .... Père soit réaliste, après les Marsaque on va se taper des gamines qui vont tout chambarder et retourner, ne rien respecter et ça avec la bénédiction de ta sœur !
Patrick .... Ça va pour toi, tu n'as pas eu à trop les supporter et sans Matthieu on les aurait encore à demeure
Alexandre ... Rappelle-moi mon cher papa, où tu étais quand je me suis retrouvé à six cent kilomètres d'ici
Patrick gronde... Je veillais ta mère, tu as la mémoire courte !
Alexandre ... Ah oui, et Maryse ?
Matthieu ... Arrête Alexandre, ce n'est pas le moment. Oublie un peu le passé. Personne ne t'a empêché de revenir quand j'étais en place.
Alexandre glacial ... Pour faire quoi ? Partager mes repas avec de la vermine ?
Matthieu ... Tu n'as pas tort, je te l'accorde, je crains comme toi que des locataires perturbent cette maison.
.... Je suis étonné que tu n'y aies pas pensé avant.
... Bien sûr que j'y ai pensé, mais j'ai aussi pensé qu'un essai n'était pas définitif.
.... Alors prends une dame de compagnie à la comtesse et fait qu'elle sache jouer au bridge
Matthieu éclate de rire et se tourne vers sa tante ........ Qu'en pensez-vous ma tante ?
Le regard attristé de la tante, me fait mal au cœur. J'en arrive à me demander si Alexandre n'est pas plus dur que mon mari qui malgré tout, aime faire plaisir à la vieille dame.
Alexandre ... Inutile de refaire les appartements elle aura une chambre, elles sont en nombre suffisant me semble-t-il ?
Matthieu ... Bien je vais réfléchir à ce nouvel aspect, passons à table !
La tante d'habitude si bavarde, parle très peu. Manou mange en silence, Patrick a le regard en colère. Et voilà encore une soirée moitié gâchée. Décidément dans cette famille, il y en a toujours un pour mettre la pagaille.
En nous couchant j'ai envie de parler de l'attitude d'Alexandre à mon mari, il ne m'en laisse pas le temps. Je m'endormirais dans ses bras, pleinement comblée
Comme bien souvent, je me réveille seule dans le grand lit. Une douche rapide, je descends boire un café. Christine est dans la salle à manger, elle termine son petit déjeuner. Sans l’embrasser je la salue et lui demande si tout va bien
.... Oui et toi ?
Tout en me servant et en saluant aussi Catherine, je réponds à Christine.
.... Bien aussi. Où est ton amoureux ?
... Il est avec Matthieu dans le bureau.
... Ah d’accord !
Je prends le temps de déjeuner, je n’ai pas envie de lui faire la causette. Certaines choses vraiment me dérangent. Son attitude hier quand Alexandre se prenait de bec avec sa tante, et qu’elle était toute béate devant son mec. Alors que dès que Matthieu ouvre la bouche, ou même s’il apparait, elle fait celle qui tremble.
Je ne comprends vraiment pas cette fille. Je suis dépitée de m’être trompée sur son compte. Alors oui elle n’est pas méchante, elle ne fait pas de bruit, mes parents l’apprécient beaucoup. Mais à quel jeu elle joue ?
Au moment où je vais pour me resservir un café, les deux cousins arrivent. Alexandre m’embrasse Matthieu vient effleurer mes lèvres
Alexandre sert deux cafés .... Tu veux Tibou ?
... Non merci
Et vlan elle a repris sa voix de petite fille. Je sens mon pouls s’accélérer
Alexandre me sourit ....... Alors belle cousine que dis-tu ?
... Heu rien !
Matthieu en riant .... Ma femme, ne cause jamais sans avoir déjeuner.
Alexandre rit aussi ... C’est pour mieux se rattraper après !
Je souris .... Voilà, c’est exactement ça !
Alexandre me taquine gentiment, Matthieu a reculé sa chaise légèrement, les jambes croisées il écoute nos réparties,
Christine comme à son habitude a baissé la tête. D’un coup son attitude m’insupporte
Alexandre en souriant me demande si je refuse toujours de choisir la couleur de son salon
Je ris .... Vert pomme et rose qu’en penses-tu ?
Le cousin éclate de ce rire chaud, si semblable à celui de Matthieu
... Reste dans les études de droit, la déco n’est à priori pas pour toi.
Je demande innocemment ... Ah bon, tu n’aimerais pas ?
Et perfidement... Et toi Christine tu en penses quoi ?
Elle me regarde et de sa toute petite voix ... Je ne sais pas.
.... Tu ne sais pas quoi
…... Oui si Alexandre veut.
J’éclate de rire, d’un rire ironique .... Bah voilà Alexandre, tu auras un salon vert pomme ! Christine n’est pas contre
Je me tourne vers Matthieu ... On fait quoi monsieur Jorelle ?
.... As-tu une idée ?
Au même moment Patrick et manou arrivent, les embrassades reprennent. Je pousse un soupir de soulagement.
Patrick .... Comment allez-vous les jeunes ?
Alexandre .... Bien et vous-même ?
Patrick sourit ... Bien ! Et Christine ? Ça va mon petit ?
Christine sans même lever les yeux de ce ton qui m’agace. ... Oui merci Patrick
Patrick ne s’attarde pas .... Et ma nièce ? Bien dormi ?
... Oui, comme un bébé.
Patrick demande à Matthieu ce qu’il compte faire, mon mari se sert à nouveau un café, me propose de la tête je fais non
Il repose le pot sur la plaque chauffante, sans demander à son cousin ni Christine. Il prend le temps de boire une gorgée.
... Je pense lui prendre une dame de compagnie. Il faut reconnaitre que dans cette grande maison, seule, il est évident qu’elle s’ennuie.
Alexandre .... Comment faisait-elle avant ?
Matthieu .... Justement avant, elle s’entourait de gens de peu, mais au moins elle avait la possibilité de parler
.... Je ne comprends pas que tu cèdes à ses fantaisies.
.... Je ne cède à rien du tout, j’essaie d’adoucir ses jours. Que peut-on lui reprocher sans cesse ?
.... Mais rien franchement, rien de ce qui est advenu, ce qu’on est devenu
….. Et alors ? Regrettes-tu d’être médecin d’avoir fait les études qui te plaisaient ?
…... Non, certes non !
….. Aurais-tu fait les mêmes études ici ? T’en aurait-elle laissé la possibilité ? Tu aurais été palefrenier pour sa salope de fille !
Je tourne la tête vers mon mari, cette colère prête à exploser et ces mots orduriers ne sont pas dans ses habitudes. Il est blanc. Je sens que ça va péter entre les cousins
J’essaie de reprendre le fil de la conversation.
Matthieu .... Alors prends-toi en à ton père par exemple !
.... Mon père ne m’a jamais lâché, mon père a été un père à mes côtés bien plus que tu ne peux l’imaginer
... Je n’imagine rien Alexandre, et tu le sais, je chéris mon oncle, mais ne viens pas faire un procès à ta tante, qui n’avait pas son mot à dire. Nous n’étions pas ses enfants. Quel regard avait-elle sur notre éducation ?
... Elle sait si bien s’insurger quand elle veut !
... Donc tu me fais comprendre que le jour où tu auras des enfants, je prendrai leur avenir en main !
.... Aucun rapport
... Mais si, bien sûr que si ! Puisque Maryse aurait dû s’occuper du fils de son frère et du fils de sa sœur !
... Tu étais orphelin, je te rappelle
.... Et quand bien même, ma mère était toujours vivante !
.... Ta mère n’avait pas le caractère Duval
.... Sois gentil Alexandre, ne t’occupe pas du caractère de ma mère, occupe-toi de la tienne.
... Il est évident que la mienne était aux abonnés absents.
... Que vis-tu dans le passé, avance merde ! Au lieu de ressasser sans arrêt. Tu vas bientôt être plus vieux que ton père.
..... Oui, facile pour toi !
.... Non détrompe-toi, rien n’a été facile. Il m’a fallu à peine mes diplômes en poche relever une société, jour et nuit et enterrer ma mère. Crois-tu que si j’avais ressassé sans arrêt nous en serions là aujourd’hui ? Crois-tu que tu serais dans ton cabinet ? Non monsieur Duval, vous seriez dans une piaule minable à bosser dans un hôpital de banlieue, à faire des gardes et des journées de quinze heures par jour.
... Je sais ce qu’on te doit Matthieu
….. Alors fais comme moi, vis ta vie, sans te retourner, profite de ton bonheur avec mademoiselle Frontasky et arrête de te poser des questions ou nul n’a la réponse !
... Alors prends-lui une dame de compagnie
... Bien sûr et avec ou sans ton assentiment !
Alexandre rit moqueur .... Je sais pertinemment que tu accéderas à ses désiderata, sans t’occuper de nous. Tu es seul maitre en la demeure !
.... Ne prends pas et ne vois pas les choses ainsi. Ne me reproche pas ma situation, je t’envie bien plus que tu ne dois m’envier. J’ai une boutique à faire tourner, et une famille à faire vivre. Ne crois-tu pas que j’aspire à des week-ends tranquilles, ou je peux me reposer la tête ?
... C’est évident.
... Alors fais montre d’un peu plus de courtoisie et arrête d’attaquer tout le monde sans réels prétextes.
... Dois-je être déloyal et ne pas dire tout haut ce que je pense ?
... Tu peux, tu en as le droit, tout est permis, tant que ça ne devient pas une ritournelle. Prends-toi en aux bonnes personnes, arrête de te tromper de cible. Ne sois pas acrimonieux au moindre prétexte.
Alexandre d’un geste las, passe sa main dans ses cheveux, et regarde son cousin, d’un air fatigué d’un coup.
Matthieu d’un ton radouci .... Alexandre, tu as un père formidable, un amour de belle-mère, une copine et un boulot super, que demander de plus ? La vie reprend ses droits et te rend enfin ce que tu n’avais plus. Profite du moment présent.
... Oui je sais.
... Crois-tu que pour moi tout a été facile ? Je me suis battu comme un lion, contre des employés qui avaient décidé de faire la loi dans l’entreprise, crois-tu que ce soit de gaité de cœur de passer pour un despote auprès des salariés ? J’ai trois cent familles à faire vivre, penses-tu que je puisse être laxiste ? Non je me dois d’être intraitable, juste mais intraitable. Je suis obligé de faire tourner la boutique, d’autant que pour vous offrir, nous offrir ce que nous avons failli perdre. Tu comprends ça ?
.... Oui, et je t’en remercie sincèrement Matthieu. Je sais que sans toi nous serions dans le caniveau
.... Alors profite, et que tout le monde profite. Vois-tu je vais te dire mon cher cousin, j’ai retrouvé goût à la vie, le jour où j’ai posé mon regard sur mademoiselle Robin ! Avant je m’enfonçais comme un acharné dans le travail. Ton père m’a aidé a levé le nez des livres de comptes. Sans lui, je pense que je serais parti à la dérive, me rendant malade de devoir relever agence, par agence. Je dois aussi à ton père, ce que nous sommes aujourd’hui. Maryse m’a été d’une aide précieuse, de par sa présence, son affection. Penses-y avant de vouloir dévorer tout le monde.
....... Bien Matthieu Jorelle, je vais faire abstraction de cette jeunesse, la balayant d’un coup de main.
.......... Tout à fait, et vis l’instant présent. Secoue ton endormie et éclatez-vous ! Parce que j’ai quelques doutes !
Alexandre tourne la tête vers Christine, je m’aperçois que manou et Patrick ont désertés.
... D’accord tibou ?
.... Oui si tu veux.
Je n’ai pas entendu la question d’Alexandre qui se lève en tendant la main à Christine. Matthieu se lève, du coup je me lève. Nous allons faire quelques pas dans le parc. Les deux cousins discutent tranquillement, je pars dans mes pensées.
Christine ne pipe pas un mot. Sa tête de martyre me tape sur le système au plus haut point.
Je me rapproche de mon mari et glisse ma main dans la sienne. Je me rends compte qu’il a une charge énorme sur ses épaules, qu’il n’a que trente ans et déjà une vie derrière lui. Mon cœur se gonfle d’amour pour cet homme, si bon. Pensant sans cesse aux siens, essayant de faire au mieux pour tout le monde. Je comprends ce côté autoritaire, tant dans la famille qu’au travail.
... Tout va bien darling ?
Je lui lance un regard amoureux j’essaie de faire passer dans mes yeux tous les sentiments que j’ai pour lui.
... Oui. Ne t’inquiète pas.
Je me tourne vers Alexandre .... Alors ils avancent les travaux ?
Alexandre .... Oui, et même plus vite que je ne le pensais.
Je plaisante... Ah c’est cool alors. J’ai hâte de voir le salon.
Alexandre éclate de rire .... Tout compte fait, il ne sera pas vert pomme, mais framboise ou cerise, qu’en penses-tu ?
Je ris ... Et pourquoi pas, qu’en pense Christine ?
Alexandre lève un sourcil ... Aucune importance, que je le fasse rose ou vert, elle consentira.
Je suis saisie de sa réponse ironique. Je me ressaisis pour ne pas rallumer la mauvaise ambiance.
... Cher cousin, non qu’elle n’ait pas d’idée, disons qu’elle te laisse libre choix. Ce n’est pas ce qu’on appelle l’amour ?
.... Par amour, tu laisses Matthieu guider toute ta vie, sans broncher ?
... Heu, cher cousin, je n’ai pas le tempérament de ta petite chérie !
... Hum c’est certain !
Matthieu taquin ... Madame Jorelle sous ses airs tranquilles cache un tempérament impétueux.
Alexandre .... La joute oratoire n’est-elle pas un jeu en soi ?
Matthieu .... Alors elle en connait bien les règles
Je ris .... Non mais oh, les deux cousins.
Matthieu m’enlace, en me soulevant de terre il me fait tournoyer ......... Je vous aime madame Jorelle, ne changez rien !
Je ris à gorge déployée, Alexandre et Christine se sont arrêtés, je peux intercepter le regard rieur d’Alexandre et celui de Christine qui me foudroie.
Enfin Matthieu me repose et effleure mes lèvres, nous repartons main dans la main.
Alexandre .... Aurais-je la bonne fortune de vivre un bonheur identique ?
Matthieu .... A toi, de mettre un coup de pied dans la fourmilière.
Alexandre dubitatif émet un ... Hum ! Pas certain que ça serve, il manque l’engouement. Ce petit quelque chose qui fait que !
Mon pouls s’emballe. Est-ce que Christine percute sur ce qu’Alexandre fait passer comme message ?
Matthieu .... Bien trop sage, ou ce sont uniquement des airs pour attirer le regard ?
Alexandre .... Certainement un petit jeu qui amplifie les mauvais côtés
.... Vas-tu t’en satisfaire ?
... Non, trop déplaisant et surtout épuisant !
Le silence retombe. Je suis déconcertée par ce que je viens d’entendre. Je sais malgré leur demi-mot qu’ils parlaient de Christine, et devant elle en plus. Elle n’a même pas l’idée de mettre son grain de sel, de se défendre. J’ai envie là tout de suite de la secouer, de lui dire réveille-toi, tu es en train de perdre ton mec.
Maryse, son frère et manou, devisent tranquillement sur cette belle arrière- saison. Matthieu sort les bouteilles de la vitrine, Catherine pose le plateau de verres. Je pense que ce plateau attend sur un guéridon, je n’ai pas remarqué. Ou dans un placard peut-être.
Manou m’interpelle ... Mélissandre ?
... Heu oui manou ?
Manou me sourit ... Je demandais si vous vouliez venir le prochain week-end avec Maryse.
... Heu bah oui pourquoi ?
Maryse ... Oui merci Odette, ça me sortira un peu.
Je croise le regard d’Alexandre et en souriant lui fais les gros yeux.
... Compris ma belle cousine
J’éclate de rire, tout le monde nous regarde sans saisir ce qui provoque cette hilarité
Le temps de l’apéritif est agréable. Tout le monde papote en riant. Le repas sera sur le même ton. Maryse est volubile faisant rire manou à plusieurs reprises.
Ma grand-mère en femme perspicace a su installer ses marques dans la famille. Depuis qu’elle est avec Patrick, elle a rajeuni, je la trouve belle. Son mari est aux petits soins. Ils se sont bien trouvés, toujours sur la même longueur d’onde.
Les anciens vont à la télé, nous nous retrouvons au salon pour boire le café. Matthieu propose une sortie à Montmartre, histoire de changer d’air.
C’est Alexandre qui nous emmène, je souris, mon mari monte derrière avec moi. En plaisantant il dit à son cousin
.... Conduisez-nous monsieur Duval !
... Bien monsieur Jorelle.
Nous déambulons dans les ruelles qui montent, nous arrêtant devant les boutiques de souvenirs en riant. Sur la place du Tertre, nous essayons de trouver une place en terrasse. L’espace des peintres est bondé d’une foule disparate.
Un type cheveux longs, blouse blanche maculée de peinture, s’approche de notre table
... Un portrait messieurs-dames ?
Alexandre ... Non merci !
Le serveur amène nos consommations. J’offre mon visage aux derniers rayons de soleil, en renversant légèrement la tête, je ferme les yeux.
... Madame Jorelle, ne t’endors pas !
Je ris et sans bouger réponds taquine à mon mari ...... Aucun risque, je te surveille !
... Qu’est-ce à dire ?
... Hum, rien de spécial, simplement que je ne vais certainement pas m’endormir.
Matthieu éclate de rire, suivi de son cousin.
Alexandre .... Te voilà prévenu cher cousin !
Matthieu .... Ne t’inquiète pas nous sommes deux à ne pas nous endormir.
Alexandre se tourne vers Christine .... Et toi tibou ? Tu dormirais ?
Christine revient à la réalité, elle n’a rien suivi de nos échanges, accaparée à regarder ce qui se passe autour de nous.
.... M’endormir ? Heu non pourquoi ?
Alexandre, jette froidement à l’intention de Matthieu .... Désolant !
Matthieu .... Il faut des fois secouer le pommier pour en récolter les fruits.
Alexandre ... Est-ce que ce sera suffisant ? Est-ce que ça ne va pas être lassant à force ?
... Tu es bien plus tempérant que moi, cher cousin. Essaie d’apprivoiser la colombe !
Le cousin taquin ... As-tu eu besoin ?
Mon mari me sourit, et d’un doigt sous mon menton, tourne ma tête en sa direction, il effleure mes lèvres avant de répondre à son cousin.
... Nul besoin, je savais dès le premier regard, que je ne devrais pas apprivoiser, plutôt dompter un petit cheval fougueux
Nous rions tous les trois, Christine nous regarde avec cet air de tomber d’une autre planète
... Monsieur Jorelle, vous êtes déloyal. Vous étiez en ce temps-là mon patron !
.... Darling, ne le suis-je plus ?
... Disons que tu es d’abord mon mari, et que j’ai appris à connaitre le patron !
D’un coup sans qu’on s’y attende Matthieu parle en anglais. Je sais que Christine ne le comprend pas. Je suis abasourdie par ce que j’entends
...... What are you going to do ? (Que comptes-tu faire ?)
....... Leave it there honestly there is nothing to belearned. (En rester là, honnêtement il n’y a rien à en tirer)
........ So don’t make it last longer (Alors ne fait pas durer plus longtemps)
.... She looked attractive at first glance, but her attitude does not suit me (Elle paraissait attirante au premier regard, mais son attitude ne me convient pas.)
........ Like what ? (Comme quoi ?)
..... No discussion, no fantasy. Nothing is nothing (Aucune discussion, aucune fantaisie. Rien, c’est le néant)
... Did you try to chat with her ? (As-tu essayer de discuter avec elle ?)
... Dialogue is difficult (Le dialogue est difficile)
... So punch your fist on the table and put things flat (Alors tape du poing sur la table, et mets les choses à plat)
Alexandre éclate de rire ........ I have no time to waste, the feelings are missing (Je n’ai pas de temps à perdre, il manque les sentiments)
Alexandre se tourne vers moi .... Beautiful cousin, would you talk to your friend ? (Belle cousine, tu parlerais à ton amie ?)
Je le regarde, essayant de savoir s’il est sérieux, je vois un air dépité sur son visage. J’éclate de rire.
... Cher Alexandre, une fois m’a suffi, et j’ai vu que donner mon ressenti, ne m’apportait que rancœur.
... Report was somewhat skewed ! (Le rapport était quelque peu faussé !)
... Maybe but won’t it be again ? (Ne le sera-t-il pas encore une fois ?)
Alexandre sourit. ....... Try to find out what’s on her mind (Essaie de savoir ce qu’elle a en tête)
J’éclate de rire ......... Ask her to marry, she’s just waiting for that (Demande-là en mariage, elle n’attend que ça)
Alexandre fronce les sourcils et d’une voix froide, reprenant le français......... C’est une plaisanterie ?
........ Absolutely not, that’s what she made me understand (Absolument pas, c’est ce qu’elle m’a fait comprendre.)
...... Try to talk to her, probe her (Essaie de lui parler, de la sonder)
.. I’Il see but I don’t guarantee you anighing, I don’t want to get involved (Je verrai, je ne te garantis rien, je n’ai pas envie de m’en mêler.)
... Can I thank you in advance ? (Puis-je te remercier à l’avance ?)
.. I do not know. The business of others, you see, the less we take care of it (Je ne sais pas. Les affaires des autres, vois-tu moins on s’en occupe, mieux c’est.)
.... Je comprends ma belle ! J’aurai essayé.
Je ris pour détendre l’atmosphère ........ Bon je verrai ce que je peux faire !
Il se penche et dépose un baiser sur ma joue.
Matthieu .... Nous partons ?
On se lève, et main dans la main avec mon mari, nous redescendons à la voiture. En chemin, personne ne parle. J’essaie de détendre l’atmosphère comme je peux
.... Tu connaissais Montmartre Christine ?
... Non.
... C’est joli hein ?
... Oui.
... Ces peintres sont vraiment talentueux ! Tu as vu ?
... Difficile de les louper, il n’y a que ça !
... Oh t’as quoi là tout de suite ?
... Rien !
Je croise le regard d’Alexandre dans le rétroviseur. Je ne sais que penser. Je laisse tomber.
Pendant le repas, je me rends compte que Christine fait carrément la gueule. Elle ne dit pas un mot, je l’ignore totalement, les deux cousins aussi.